01.12.21

Retour sur les « codes verts »

Si les conditions étaient favorables, voire très propices, pour atteindre l’équateur en moins de cinq jours, l’Atlantique Sud ne permettait pas de viser la longitude du cap de Bonne-Espérance en une douzaine de jours pour Sails of Change. Jean-Yves Bernot, routeur à terre de l’équipe de Dona Bertarelli et Yann Guichard, revient sur ces incertitudes météorologiques …

Pourquoi ces successifs reports de départ pour le Trophée Jules Verne ?

Sails of Change avait les conditions favorables pour aller rapidement jusqu’au cap Frio (au large de Rio de Janeiro). Le maxi-trimaran avait théoriquement de bons temps, voire de très bons temps pour franchir l’équateur mais ensuite, il y avait un telle instabilité autour de l’anticyclone de Sainte-Hélène, que le passage devant le cap de Bonne-Espérance n’était pas bon …

Mais il y a eu deux fois un départ prévu au mois de novembre !

Dans les deux cas, il n’y avait pas de dépression brésilienne qui se crée et qui propulse le bateau très vite vers l’Afrique du Sud. Ce sont de petites choses, mais à six heures de décalage, Sails of Change prenait ou ne prenait pas le « train » … Six heures d’incertitude sur une prévision à huit jours, c’est peu, mais c’est aussi beaucoup ! Alors ces deux « codes verts » sont aussi liés à la volatilité de ces prévisions météorologiques à long terme.

© Chris Schmid / Spindrift

Il faut bien prendre une décision …

Il y a « code vert » quand il y a une opportunité de départ et il faut bien que toute l’équipe de Spindrift soit prête ! Il faut savoir que les données météorologiques sont mises à jour toutes les douze heures et qu’elles sont fournies par des modèles américain et européen : s’ils ne proposent pas la même situation à plusieurs jours, il faut au minimum attendre qu’ils convergent vers une configuration similaire. C’est un peu le jeu du record : il ne faut pas rater une situation et rester prêt à partir !

Alors qu’en est-il de la situation d’hier, 30 novembre 2021 ?

Ce n’est pas encore franchement décanté. Il y a bien les conditions d’une descente rapide vers le Brésil, mais ensuite … Il y a peut-être une petite dépression qui se forme et avec beaucoup de chances, on peut l’attraper, mais après ? Rappelons que les modèles météorologiques doivent être en accord mais de toutes façons, il faut préparer toute l’équipe s’il y a une ouverture. Dans les deux cas qui nous concernent, les prévisions américaines étaient plus optimistes que celles des Européens, puis la configuration s’est encore dégradée pour les deux modèles.

Mais les simulations météorologiques ont énormément évolué ces dernières années …

Absolument ! On ne route plus les bateaux de la même façon aussi. Lors des premières tentatives dans les années 1990-2000, l’objectif était le passage de l’équateur car la visualisation ne dépassait cinq jours. Désormais, les bateaux sont encore plus rapides et les données fiables courent jusqu’à dix jours et plus ! Il faut maintenant viser le cap de Bonne-Espérance en douze jours maximum : ce n’est plus la même chose. À huit jours, on voit bien ce qui va se passer dans l’Atlantique Sud.

© Eloi Stichelbaut / Spindrift

Y a-t-il un rapport entre la position de l’anticyclone des Açores (hémisphère Nord) et celle de l’anticyclone des Sainte-Hélène (hémisphère Sud) ?

Je perçois le sens de la question : situation météorologique favorable dans l’hémisphère Nord donc défavorable dans l’hémisphère Sud ! Non. Il n’y a pas d’équilibre entre ces deux parties de la Terre, en tous cas pas dans la constante de temps sur laquelle nous travaillons. Peut-être en lissant sur l’année ? Je n’ai pas cette information.

Que l’anticyclone des Açores soit plus ou moins haut en latitude n’influe donc pas sur la situation dans l’Atlantique Sud ?

Je n’y crois pas du tout : il n’y a pas de correspondance Nord-Sud. Pas sur le laps de temps sur lequel nous travaillons pour un routage du Trophée Jules Verne. Il n’y a pas de compensation qui se ferait en un temps aussi court.

Sails of Change est de nouveau en stand-by à La Trinité-sur-Mer jusqu’au 15 janvier.

On peut se dire que c’est tard, mais quand on regarde les précédents records, on constate que Groupama 3 était parti un 31 janvier ! Et IDEC Sport aussi au milieu de l’hiver boréal … Là, nous ne sommes que début décembre, l’équipe a encore du temps.

© Eloi Stichelbaut / Spindrift

Mais il y a une bonne conjonction avec la pleine lune le 19 décembre et l’été austral le 21 décembre …

Certes, mais il ne suffit pas de franchir l’équateur en moins de cinq jours, comme cela se présentait dans les deux cas : il faut enchaîner ! Le record actuel sur le Trophée Jules Verne est tellement bas (40 jours 23 heures et 30 minutes) qu’il faut être à Bonne-Espérance avec au moins un jour d’avance … Francis Joyon et ses hommes avaient traversé l’océan Indien vraiment très vite : il faut donc posséder de la marge à la sortie de l’océan Atlantique. Et ils avaient mis moins de six jours pour revenir de l’équateur à Ouessant ! Donc la marge doit être prise au début de la tentative …

Logiquement, il y a une dizaine de « fenêtres » météo favorables par hiver ?

Il ne faut pas voir cela comme ça : cela dépend totalement des années et il n’y a pas de statistiques là-dessus ! Il y a des hivers où il y a plein d’opportunités et d’autres où il faut rester à terre. En plus au fil des années, les ouvertures ne sont plus les mêmes. Et puis cela dépend de ce qu’on veut faire et ou on veut aller. Là par exemple, il y avait de quoi améliorer le temps de référence entre Ouessant et l’équateur, mais pas de suite possible pour un record autour du monde … Sails of Change pouvait probablement battre son propre record WSSRC sur la ligne de démarcation entre les deux hémisphères (Spindrift 2 en 2019 : 4 jours 20 heures et 13 minutes) mais l’objectif de Dona Bertarelli, Yann Guichard et de leur équipe reste bien le record autour du monde !

Quelle visibilité pour les jours à venir ?

Il n’y a plus d’ouverture ces prochains jours : il va falloir attendre un peu … Ce qui ne nous empêche pas en tant que routeur, de regarder ce qui se serait passer au cas où Sails of Change serait parti quand même : la fenêtre du 25 novembre s’enferrait dans du super mou après le cap Frio (au large de Rio de Janeiro). Celle du 30 novembre ne semble pas favorable non plus dans l’hémisphère Sud avec un très mauvais temps au cap de Bonne-Espérance, mais on va regarder plus précisément ces jours prochains. Et l’idée de partir et de revenir n’est valable que si le retour est rapide car il peut y avoir une bonne « fenêtre » en retournant sur Ouessant …

Équipage 2021 du maxi-trimaran Sails of Change :
Yann Guichard – Skipper
Dona Bertarelli – Reporter embarquée 
Benjamin Schwartz – Navigateur
Jacques Guichard – Chef de quart
Xavier Revil – Chef de quart
Duncan Späth – Barreur / Régleur
Grégory Gendron – Barreur / Régleur
Julien Villion – Barreur / Régleur
Thierry Chabagny – Barreur / Régleur
Jackson Bouttell – Numéro 1
Yann Jauvin – Numéro 1


Jean-Yves Bernot – Routeur à terre

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